Émancipation Indigène
Ch’ieltik
Chiapas (Mexique)
Mars 2021.
Notre voyage au Mexique est marqué par la rencontre avec ses habitants à l'accueil inégalable. Nous avions d’autant plus hâte de découvrir le Chiapas, connu pour avoir accueilli le plus grand nombre de civilisations préhispaniques. Dans cet État, près d’un tiers de la population est d’origine amérindienne, descendant pour la plupart (90%) des Mayas. Pas moins de 12 peuples différents parlant leur propre langue coexistent dans cette région à l’identité très marquée, les plus nombreux étant les Tzeltales et les Tzotziles. L’héritage des Mayas et celui des conquistadors espagnols cohabitent ainsi étroitement. C’est donc tout naturellement que nous nous sommes tournées vers cette région pour effectuer notre mission humanitaire.
Sommaire
Contexte
Le Chiapas est situé au sud du Mexique à la frontière avec le Guatemala. C’est l'État avec l’IDH le plus faible de pays et le taux de pauvreté infantile le plus élevé (82,3% des mineurs sont en situation de pauvreté).
C’est aussi le troisième État avec la concentration d’amérindiens la plus élevée, et ces populations sont malheureusement sévèrement discriminées. Le système scolaire n’est pas adapté aux jeunes indigènes car leurs identités et difficultés ne sont pas représentées. Cela les empêche de développer les capacités nécessaires pour vivre dans le monde actuel. Les cours sont dispensés en espagnol alors que 27,3% de la population mexicaine parle une langue indigène. Cela limite fortement leur accès et leur présence dans les établissements d’enseignement. 1,5% des collégiens sont indigènes, 1% parviennent à intégrer une université, et 39,8% seulement terminent l’enseignement supérieur. On estime de plus à 31,1% le pourcentage de la population indigène accusant un retard en matière d’éducation contre 15,4% de la population non indigène. Le système éducatif constitue ainsi une réelle source de discrimination pour les communautés autochtones.
Par ailleurs, les femmes indigènes souffrent d’une discrimination supplémentaire au sein de leurs propres communautés et qui concerne la violation de leurs droits. En effet, nombreux sont les mariages forcés et grossesses précoces entraînant le décrochage scolaire. La pauvreté, le manque d’accès aux services d’éducation, de santé et de justice, sont de nombreux obstacles au développement des filles et des adolescentes indigènes. L’accès restreint à l’information dans leur langue maternelle ainsi que la disponibilité limitée des méthodes de planification familiale porte le taux de fécondité des adolescentes (entre 15 et 19 ans) à 9%. Le Chiapas possède d’ailleurs le taux de fécondité le plus élevé du Mexique chez les adolescentes.
Ch'ieltik
Fondée en 2009, Ch’ieltik est une ONG de jeunes indigènes à destination des jeunes indigènes. L’association œuvre depuis plus de 10 ans pour les droits des enfants et adolescents des peuples autochtones du Chiapas, afin qu’ils s’émancipent et qu’ils aient un rôle actif dans la transformation de leurs vies et celles de leurs communautés. L'organisation repose sur des principes fondamentaux: l’interdépendance, le respect des différences, la paix et la solidarité. En se concentrant sur des sujets importants tels que les droits de l’homme, l’égalité des genres et l’interculturalité, l’association vise à développer et renforcer les compétences et capacités des jeunes, tout en les encourageant à conserver leurs richesses culturelles.
Afin d’atteindre sa mission, Ch’ieltik a défini 4 lignes d’actions qui reposent sur des activités éducatives, culturelles et artistiques:
-
L’éducation: sessions informatives sur la santé sexuelle et reproductive, ateliers d’orientation vocationnelle, mise à disposition d’outils de gestion des émotions et de confiance en soi, renforcement des notions d’égalité, d’équité, de paix, de tolérance...
-
Le leadership: renforcement des capacités et de l’identité indigène au sein de travaux de groupe, développement d’une pensée critique dans la recherche d’alternatives, prises de décisions et de parole...
-
Le plaidoyer: ateliers de sensibilisation, tables rondes, forums, conversations, séminaires avec des acteurs clés (personnel enseignant, de santé…) afin de discuter des problématiques de la jeunesse et d’ouvrir des espaces de réflexion.
-
La créativité: ateliers artistiques, développement de compétences, libération/expression des émotions et création d'événements culturels au sein des communautés (sport, courts métrages, peinture…)
En outre, l’ONG a mis en place une structure leur permettant de maintenir une relation étroite non seulement avec les jeunes, mais également avec les autorités communautaires, éducatives, sanitaires et pères/mères de famille.
L’association travaille principalement sur deux sites (régions de San Cristobal de Las Casas et de Las Margaritas), chaque site ayant sa propre équipe en plus du siège à Mexico City. Composé d’indigènes, le personnel est professionnel et multiculturel pour aller au plus proche des communautés, encourager l’inclusion d’identités diverses et montrer l’exemple d’une union harmonieuse.
Obstacles
Malgré cette multiculturalité, l’organisation rencontre parfois des obstacles à la mise en place d’activités et donc à l’accomplissement de sa mission. Dans certaines communautés, des sujets tels que la santé sexuelle et reproductive sont considérés comme tabous et sont donc difficiles à aborder. Plusieurs mots n’existent même pas dans la langue indigène. Il faut donc beaucoup de tact, de persévérance et de patience pour que les ateliers éducatifs se concrétisent et soient fructueux.
Récemment, les discriminations envers les communautés indigènes se sont aussi aggravées avec la pandémie sanitaire. Le Covid19 a entraîné la fermeture d’écoles dans tout le pays et les alternatives éducatives ont de graves répercussions sur les populations vulnérables. Seulement 24,6% des foyers au Chiapas ont un ordinateur et 24,1% disposent d’une connexion internet. Inutile de mentionner que la majorité d’entre eux sont concentrés dans la population non indigène…
Notre participation aux activités
Les écoles étant fermées et faisant bien souvent office de lien entre Ch’ieltik et les communautés, nous n’avons pas pu participer à autant d’activités que nous l’aurions espéré. Cela reste cependant bien évidemment dérisoire en comparaison des conséquences subies par les jeunes. L’équipe s’est réellement démenée pour nous inclure au maximum dans ses actions et pour nous donner le meilleur aperçu du fonctionnement de l’organisation.
Nous passons ainsi la plupart de notre temps à travailler sur des projets visant à l’émancipation des femmes de communautés indigènes.
Nous partageons tout d’abord avec elles notre expérience du tour du monde en tant que jeunes femmes réalisant leur rêve. Bien conscientes de nos privilèges, nous agissons avec beaucoup d’empathie. Notre but est d’inspirer et non pas de susciter la jalousie. Beaucoup sont très impressionnées par notre habilité à parler plusieurs langues. Elles sont également très reconnaissantes de nous accueillir au sein de leur communauté et de la démarche de notre voyage qui est de rencontrer des personnes aux modes de vie et cultures différents du nôtre.
Nous participons à des entraînements et tournois de football féminin organisés par Ch’ieltik afin de promouvoir l’égalité des genres, de donner confiance aux filles et de leur permettre de libérer/exprimer leurs émotions. On ne parle pas la même langue, on n’a pas la même couleur de peau ou les mêmes coutumes, on ne rencontre pas les mêmes difficultés, mais à cet instant, nous sommes toutes égales. C’est un vrai moment de partage et elles sont toutes aussi heureuses que nous.
Nous vivons néanmoins deux expériences bien distinctes en fonction de la communauté où nous nous rendons. A San Juan Cancuc, les filles sont très timides. Peu osent prendre la parole pour se présenter ou s’exprimer. Les éducateurs nous expliquent que les traditions sont ici très ancrées. Mais lorsque la partie commence, les personnalités se révèlent et il est plus facile d’échanger.
Mars 2021.
A Las Margaritas, changement d’ambiance. Les filles ont troqué leur jeans/baskets pour des tenues de footballeuses professionnelles. La timidité est rentrée au vestiaire et on a plutôt du mal à les arrêter.
Susana | Claudia | Ari Lizbeth |
---|---|---|
Cristabel | Karla | Carmen |
Yadeli | Abida | Teresa |
Mayra | Floridani |
Et sur le terrain, on ne fait clairement plus les malignes! Tout le monde se donne à fond, mais toujours dans un esprit de respect, d’apprentissage et de convivialité.
Las Margaritas est réellement un modèle de réussite quant au développement du projet sportif. On en profite donc pour réaliser des interviews à destination d’adolescentes d’autres communautés, comme celle de San Juan de Cancuc, afin de les inspirer, de les motiver et de les encourager.
Si vous aussi vous ne parlez pas espagnol, alors voici un petit résumé. Le foot est devenu pour ces femmes une véritable passion, indispensable à leur bien-être. Au-delà d’un simple sport qui leur procure beaucoup de bonheur, il leur permet également de se dépenser physiquement, de libérer leur stress, de sociabiliser et de vaincre leur timidité. Si au début elles n’ont pas reçu le soutien espéré de leur famille, leurs proches ont avec le temps accepté et soutiennent dans l’ensemble désormais le projet. Elles encouragent les autres filles à poursuivre leur rêve et revendiquent fièrement que le football n’est pas seulement un sport dédié aux hommes mais que les femmes peuvent également le pratiquer. On ne peut qu’approuver!
Nous nous rendons ensuite à Nuevo San Juan de Chamula où nous participons aux prémisses d’un projet visant à rafraîchir deux terrains de basketball pour les filles d’une autre communauté. La réunion, qui regroupe les responsables du programme (dont une femme pour la première fois), a pour but d’organiser l’achat du matériel et des uniformes, et d’encourager la participation de l’ensemble de la communauté à la rénovation.
A San Juan Cancuc, nous participons également à des ateliers d’orientation vocationnelle destinés à l’émancipation des jeunes indigènes. Nous distribuons des tests de personnalité formulés par Ch’ieltik afin d’orienter les jeunes vers une carrière professionnelle en accord avec leur caractère, leurs intérêts, leurs capacités et leur rythme de travail. Les métiers sont tous égaux et encouragés, que ce soit docteur, ingénieur, écrivain ou peintre. On se dit que notre ministère de l’éducation pourrait bien s’en inspirer…
Futur
Ch’ieltik aspire à poursuivre ses activités et à réaliser sa vision: encourager et émanciper les jeunes indigènes pour qu’ils disposent des outils nécessaires à la l’amélioration de leur vie et celle de leurs communautés. Cependant, comme expliqué ci-dessus, le Covid a accentué les problématiques du Chiapas et des communautés autochtones rencontrées.
L’ONG a ainsi perdu d’importants financements et peine à trouver de nouveaux donateurs pourtant indispensables à l'organisation des ateliers éducatifs et artistiques pendant la crise sanitaire. L’objectif est que les jeunes et les femmes de communautés indigènes soient davantage écoutés dans les prises de décision et aient les capacités pour y prendre part activement. Le soutien extérieur à l’organisation est donc vital.
Si vous souhaitez contribuer, il est possible de faire un don sur la page. Vous pouvez également aider en les soutenant sur les réseaux sociaux (Facebook & Instagram) et en partageant leur travail autour de vous.
Remerciements
Notre expérience au sein de Ch’ieltik fut tout simplement mémorable. Malgré notre arrivée soudaine et un séjour accéléré, c’est comme si nous avions toujours fait partie de l’équipe. Tout au long de notre volontariat, nous avons été encouragées, guidées et extrêmement bien accueillies, à l’image du peuple mexicain. Au-delà d’avoir pu apporter notre aide à l’association, nous avons vécu de vrais moments de complicité, que ce soit avec les communautés discriminées ou avec les membres de l’organisation. Nous avons reçu autant que nous avons donné, si ce n’est beaucoup plus. Alors un grand MERCI!